Avis de lecture réalisé par Shesha, secrétaire générale des Murmures Littéraires
Les éditions de l’Alchimiste sont une maison que j’affectionnais déjà avant son partenariat avec les Murmures Littéraires : parmi ses publications figure un de mes plus grands coups de cœur, la duologie de La Complainte des Ombres de Florian Paret, aux côtés d’autres excellents livres comme Les Cendres du Temps d’Elisabeth Touvenin, Le Concile de Merlin de Lionel Cruzille, Ombruscus de Jean-Daniel Doutreligne ou la série Le Bureau des Défunts d’Antoine Lancou.
Une autre raison pour laquelle j’apprécie cette maison d’édition, c’est son engagement concret sur de nombreux fronts. Les choix d’impression de l’Alchimiste favorisent l’écologie. Imprimés par Imprim’Vert, un label garantissant une réduction des impacts environnementaux, leurs livres sont de plus disponibles en impression à la demande. Ainsi, il n’y a pas de stock, et donc pas de surplus, pas de mise au pilon, pas de gaspillage, pas de déchets : une littérature plus respectueuse de l’environnement. De plus, à travers sa collection « Racines des Possibles » ou des partenariats avec l’association « Navajos France » et la revue « NATIVES », l’Alchimiste encourage les interrogations éthiques et sociétales.
Enfin, cet engagement s’exprime plus largement dans toute sa ligne éditoriale :
« L’imaginaire comme questionnement du réel », qui cherche à faire naître une réflexion chez les lecteurs et lectrices au travers de chacun des livres publiés. Si la littérature de l’imaginaire favorise l’évasion, elle peut aussi nous renvoyer des reflets pertinents de notre propre monde : c’est un aspect que je recherche beaucoup dans l’imaginaire et qui me correspond personnellement. C’est donc un plaisir de le retrouver dans les publications de l’Alchimiste telles qu’Obsolètes d’Alexis Marzocco.
Obsolètes, « un page-turner aux révélations et rebondissements menés d’une main de maître »
Obsolètes, roman de science-fiction d’Alexis Marzocco, est sorti il y a moins d’un an, en février 2021. Il suit les péripéties de deux personnages, chacun vivant dans des temporalités différentes, définissant ainsi les deux intrigues principales de cette histoire.
– En 2050, Kiara est une jeune psychologue assez méfiante des avancées technologiques, qui causent notamment de plus en plus de troubles chez ses patients. Mais on la contacte pour lui présenter une mission hors du commun : participer à un projet top secret qui pourrait permettre à l’humanité d’affronter les désastres climatiques qu’elle a elle-même causés.
– En 2123, Henry travaille dans une société de sécurité, qui prédit les crimes avant qu’ils ne soient commis. Mais malgré cette surveillance omnisciente, un attentat est perpétré au cœur de la ville ; Henry se retrouve alors accusé de terrorisme, et est obligé de rejoindre la clandestinité.
Que penser de cette lecture ?
Attention : cette section contient des spoilers sur l’intrigue du livre
Le roman s’ouvre sur une scène d’atterrissage à la fois réaliste, cinématographique et prenante. J’avais commencé ma lecture sans regarder le résumé du livre, aussi ai-je été surprise par la première “esquive” de ce texte, qui laisse croire dans les premières pages qu’on parlera d’exploration spatiale, pour ensuite révéler qu’il ne s’agissait que d’une simulation.
Ces effets d’esquives se poursuivent dans la suite de l’ouverture, pour mon plus grand plaisir. On les retrouve notamment dans une scène d’idylle à travers une application de rencontres, qui peut sembler un peu cliché au premier abord, mais qui permet un effet de surprise construit sur la révélation que la jeune fille n’est en réalité qu’un chatbot.
L’introduction continue en beauté, avec notamment une discussion très profonde sur le libre arbitre de Sofia, l’IA personnelle de Henry, qui semble avoir développé une conscience bien plus humaine que ce que les autres personnages veulent bien admettre. C’est une discussion profonde, réfléchie et très intéressante, sur un thème qui va continuer à se révéler important à travers la suite du texte.
Dès le début, on sent de nombreux éléments qui se tissent et attisent la curiosité. Pourquoi ces deux intrigues ? Quand et comment se rejoindront-elles ? Qui est réellement à l’origine de l’attentat, et pourquoi Henry est-il accusé ? Qui est cette fille qu’il rencontre au bar ? Quel est le mystérieux projet pour lequel Kiara va travailler ? D’où viennent ses cauchemars ? Quel a été son accident ?
Cette double intrigue, qui s’ancre dans deux époques successives de notre terre, 2050 et 2123, constitue à la fois l’une des grandes forces et l’originalité de ce livre. Chacune d’entre elles est extrêmement bien rendue ; aucune des deux n’a été délaissée au profit de l’autre. Chacune est un monde à part entière avec sa société, sa politique, ses règles, ses décors et ses modes de vie bien différents. L’immersion réussit parfaitement – presque aussi bien qu’en VR – et l’on a l’impression de suivre les personnages dans ces différents mondes. Les descriptions sont fluides et bien choisies, les détails nombreux et maîtrisés… On sent qu’il y a plus dans cet univers que ce dont l’histoire a simplement besoin ; c’est un véritable background construit et maîtrisé.
Un autre point fort de ce texte sont les personnages, humains et tout en nuances. On s’attache facilement à eux et, rapidement, on craint pour leurs vies, on espère les voir s’en sortir. Beaucoup d’entre-eux sont forts et attachants : Erika, Pete, Zoé, Derras, Kwon… Ce sont des personnages dont on se souvient encore, même bien après la lecture.
Si je devais choisir un personnage préféré, ce serait peut-être Sonia. J’ai beaucoup apprécié l’évolution de cette IA, son rapport ambigu à son libre arbitre et à ses émotions, sa jalousie qui prend le pas pour la rendre obsessionnelle. À l’inverse, j’ai moins apprécié les jumelles Melody et Lilly, des antagonistes apparaissant vers la fin de l’histoire, visant à empêcher Henri et Kiara de venir à bout de leur plan. À mon sens, elles ressemblent trop à un cliché de yandere.
Enfin, l’intrigue et le suspens sont maîtrisés à la perfection par l’auteur tout au long de l’histoire. Pendant tout le livre, la tension et les rebondissements s’enchaînent, tout en étant ponctués de révélations surprenantes et imprévisibles, qui frappent avec la force de véritables claques, ce qui donne un rythme trépidant. Ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps, mais ce livre m’a fait l’effet « encore un chapitre et j’irai dormir après. Bon allez, encore un chapitre. Bon, il est minuit mais il me reste plus que quelques chapitres, je peux le terminer ce soir ».
Le scénario nous captive de manière extrêmement intelligente. Des éléments scénaristiques sont placés au meilleur moment pour détonner ou, au contraire, être oubliés, pour finalement prendre tout leur sens au moment voulu, s’emboîtant comme un grand puzzle, pour créer un ensemble surprenant et cohérent. Seule petite incompréhension qui pourrait ternir la fin : si Anaël, l’IA qui génère la simulation dans laquelle Henri vit, est tout puissante et omnisciente dans la trame de 2123, pourquoi avoir laissé l’anti-terrorisme découvrir sa cachette, alors que cette découverte contrecarre ses plans et qu’elle le sait ? Comment a-t-elle pu se laisser tromper ? Mais c’est vraiment un point mineur ! J’ai aussi trouvé un peu dommage que la seule raison qui empêche Henry de croire la révélation de son supérieur sur l’identité d’Erika soit la beauté de celle-ci, motif un peu réducteur alors qu’il avait déjà des preuves assez solides pour l’innocenter de manière indirecte.
En revanche, je suis restée un petit peu déçue par le manque de naturel des dialogues. Il m’est ainsi arrivé plusieurs fois de ne pas suivre qui parle. J’ai aussi trouvé qu’ils faisaient parfois un peu info-dumping d’univers, et qu’on avait du mal à suivre la logique de certaines joutes verbales. Pour moi, certaines répliques étaient en contradiction avec ce que les personnages pensaient ou savaient à ce moment-là, et ça me donnait l’impression qu’ils lisaient un script plus qu’ils ne laissaient s’exprimer leur cœur.
Mais ça ne reste qu’une très légère ombre sur ce tableau très haut en couleurs.
Par ailleurs, ce texte traite de très nombreux thèmes. Le libre arbitre, la réalité de ce que l’on vit, la loyauté et la confiance, l’écologie et le capitalisme… Ils s’entrecroisent pour à la fois peindre un tableau très noir de notre futur si nous ne prenons pas plus garde à notre mode de vie, tout en formant une réflexion riche et complexe. C’est un texte qui va nourrir mes réflexions prochaines pendant un certain temps, et je vous souhaite que sa découverte vous apporte autant qu’à moi !
Pour conclure : Une lecture forte en rebondissements, émotions et réflexions que je recommande chaudement !