Autrice des Cinq soldats de bambou et du Crépuscule des Veilleurs
Bonjour Eliane / Lynkha et merci d’avoir accepté cette interview.
Vous avez écrit Le Crépuscule des Veilleurs et Les cinq soldats de Bambou, deux romans qui s’épanouissent sur la frontière entre l’histoire et le merveilleux. Avec ces œuvres, vous avez été doublement lauréate des Murmures Littéraires en 2021 ! Le crépuscule des Veilleurs devrait paraître au premier semestre 2023 et la parution du premier tome des Cinq soldats de bambou aura lieu pour juillet 2023, avec une avant-première au Salon du livre de Wallonie à Mons en Belgique, les 8 et 9 octobre 2022.
Voici, pour commencer, une première question : que pouvez-vous nous dire sur vous et vos romans, en quelques mots ?
Bonjour, et avec grand plaisir pour l’interview. C’est la première fois que je me prête à l’exercice, alors c’est un peu intimidant.
Que dire sur moi ? Je suis tombée dans le chaudron de la fantasy quand j’étais petite et j’ai toujours adoré inventer des histoires, faire vivre des personnages et les entraîner dans des intrigues tordues. Pendant longtemps, cette passion s’est exprimée au travers du jeu de rôle. L’idée d’écrire un jour un roman me trottait également en tête, mais pour cela, il faut du temps. Or, entre les études, le début de la vie active, la naissance des enfants, le temps devenait une denrée rare. C’est en 2018, que je me suis prise par la main pour replonger dans d’anciennes notes et me lancer enfin dans l’aventure. Le Crépuscule des Veilleurs a vu le jour en trois mois d’écriture frénétique. Comme j’ai adoré l’expérience, Les Cinq soldats de bambou a été écrit l’année d’après.
Mes histoires mélangent ce que j’aime retrouver dans un livre : le dépaysement (L’Europe de la Renaissance ou la Chine antique), une touche de magie puisée dans le vaste éventail des mythes et légendes, des personnages qui entraînent le lecteur au bout du récit, le tout noué d’une poignée de secrets.
Vos romans reflètent bien cette passion, ils témoignent d’autant de recherche dans la reconstitution des atmosphères historique que de soin pour créer les éléments d’imaginaire ! Et justement, est-ce par intérêt pour l’Histoire que vous avez choisi ces deux cadres de l’Europe de la Renaissance et de la Chine antique ? Pensez-vous écrire un jour un roman qui se déroule en dehors d’un cadre historique, ou au contraire dépourvu d’imaginaire ?
Pour être honnête, l’Histoire ne m’a pas toujours passionnée ; je dirais même que cette matière me donnait des boutons à l’école avec ses listes de dates et ses événements figés. Je n’ai découvert ses autres facettes que bien plus tard, en l’abordant par le quotidien des hommes et des femmes qui nous ont précédés, leur mode de vie, leurs croyances, le cheminement tortueux qui a mené à la construction du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. J’adore cette plongée dans d’autres époques, la richesse inépuisable des cultures de par le monde ; et leurs légendes, bien sûr. Cette touche de merveilleux qui enchante l’imagination.
Je pense que je pourrais écrire d’autres romans, en dehors d’un cadre historique, de la pure fantasy. En fait, j’avais même commencé à rédiger quelques chapitres pendant mes années de lycée, puis d’études post bac. J’ai encore des centaines de pages de notes sur toute la société et la politique d’un univers inventé. Pour le moment, je n’ai pas eu envie de repartir de ces travaux, et j’ai déjà suffisamment d’idées d’autres romans pour m’occuper quelques années. Mais qui sait ?
En revanche, je ne sais pas si j’arriverais à écrire une histoire sans aucun élément de fantastique. J’aime quand le récit comporte une part de rêve.
Je serais très curieux de découvrir ce à quoi peut ressembler un tel univers, vu l’imagination déjà déployée dans le nôtre que vous revisitez… Et à propos d’imagination, pouvez-vous nous parler des sources d’inspiration du Crépuscule des Veilleurs et des Cinq Soldats de Bambou, ainsi que de vos intentions en les écrivant, ou tout autre élément au sujet de leur création ?
Il est souvent difficile de remonter aux sources exactes d’une histoire, car plusieurs facteurs s’assemblent pour donner une première idée, qui germe peu à peu et finit par déboucher sur un premier canevas. Ce premier squelette sera lui-même encore affiné au cours de la rédaction. Cependant, je vais malgré tout essayer de retracer les débuts de ces deux histoires.
Pour Le Crépuscule des Veilleurs, les idées d’origine tiennent pour une grande part à d’anciennes parties de jeu de rôle avec un groupe d’amis. Nous incarnions des magiciens dans l’Europe de 1534, voyageant sous couvert d’une compagnie de la commedia dell’arte. Après chaque partie, je consignais par écrit les rebondissements et péripéties pour conserver une trace commune entre les semaines, voire les mois, qui s’écoulaient entre nos rendez-vous.
Plus tard, aiguillonnée par mon envie d’écrire un livre, je suis repartie de quelques-unes de ces aventures. J’ai conservé le contexte historique, certains personnages ; d’autres ont évolué ou ont été rajoutés. Il me fallait un cadre pour la magie de ce monde et j’ai passé beaucoup de temps à concevoir la notion de Toile entre les mondes. Je voulais une touche de merveilleux, de poésie, et aussi un concept nouveau, différent de ce qui pouvait avoir déjà été écrit par ailleurs. J’ignore si j’ai réussi, mais je n’ai pas connaissance de livre ou d’univers qui reprennent ces idées.
Il me fallait également un thème porteur pour mon histoire. Assez naturellement, avec les idées déjà en place, je suis arrivée sur la notion de choix : le renoncement qu’il implique, les conséquences qu’il provoque, la manière dont il révèle la personnalité de chacun. Je voulais confronter les personnages à leurs décisions, à la fois passées et à venir, qu’ils regrettent ou approuvent.
Enfin, je voulais, au travers du cheminement des protagonistes, donner vie à la fois aux grands événements de l’époque (création de l’Église anglicane par Henri VIII, guerres d’Italie de François Ier, débuts du protestantisme) et au quotidien (place des femmes dans la société, spectacles de commedia dell’arte, découverte de villes connues).
Voilà en quelques mots la naissance du Crépuscule des Veilleurs.
Pour Les Cinq Soldats de bambou, la genèse est un peu différente. Cette fois, je suis partie d’un thème que je voulais illustrer : le rapport à l’autorité et la limite entre obéissance et conviction personnelle. Mon idée d’origine consistait à confronter des héros dévoués à leur pays aux agissements de plus en plus insensés du roi-dieu qui le gouverne. Pour cela, j’ai d’abord cherché du côté de l’Egypte antique, où l’on retrouve cette notion de souverain divin ; mais ce cadre m’a paru déjà bien traité dans la littérature de fantasy. Je suis donc arrivée jusqu’en Chine et j’ai découvert de très nombreux mythes qui méritaient de prendre vie : dragons, phénix, tortues géantes, licornes, femmes-renardes, mont céleste et ses pêchers sacrés, guerriers pétris d’honneur, etc.
Pour changer de ma narration dans Le Crépuscule des Veilleurs, je voulais également construire une histoire sur un mode non linéaire. C’est ainsi que j’ai conçu deux trames, passée et présente, qui s’entrelacent et se nourrissent l’une l’autre. Les événements d’autrefois se découvrent au travers d’un journal mystérieux rédigé par l’un des protagonistes, et jettent un éclairage nouveau sur ceux qui se déroulent au présent.
C’est en m’appuyant sur ces deux idées principales que j’ai peu à peu assemblé l’histoire des Cinq soldats de bambou.
Que pouvez-vous nous dire à propos de vos personnages ?
En un mot, mes personnages sont l’âme de mes histoires.
Ce sont eux qui l’inspirent, l’animent, lui donnent vie. De mon côté, je ne fais pas grand-chose. Je plante une graine sur une fiche de personnage très anonyme : un nom, quelques traits caractéristiques, une ébauche de caractère. J’arrose avec soin de rencontres et de péripéties et je les regarde grandir à chaque nouveau chapitre. Ils m’emmènent parfois dans des directions inexplorées ; je ne leur force jamais la main. Entre mon synopsis et leurs aspirations, ce sont toujours eux qui ont le dernier mot.
Je serais moi-même incapable de choisir parmi eux, mais y en a-t-il un que vous préférez tout particulièrement ?
J’aime tous mes personnages. Ils ont leurs défauts, leurs qualités, des personnalités différentes. Je sais pourquoi ils agissent, le passé qui les a modelés, les rêves qui les guident. Aucun n’est parfait, certains s’opposent. J’essaie de balayer à travers eux toute la diversité humaine. Ils sont rarement « gentils » ou « méchants », même si leurs buts peuvent être plus ou moins en accord avec une certaine notion de morale.
Par exemple, dans Les Cinq Soldats de bambou, j’ai adoré écrire sous la plume incisive de Mille Ruses, même si je me sens bien plus proche de Cíqiǎo. Dans Le Crépuscule des Veilleurs, la candeur du narrateur donne l’impulsion pour aller de l’avant, mais chacun de ses compagnons vient apporter son fil sur la trame de l’histoire ; qu’un seul se dénoue, et tout perd son sens.
On retrouve plusieurs thématiques dans vos romans, que vous semblez aimer questionner : la morale justement, les liens familiaux et leur évolution, la fidélité dans toutes les formes qu’elle peut prendre, la littérature aussi… Parmi ce vaste panel, y a-t-il des thématiques qui vous tiennent plus particulièrement à cœur ? Pensez-vous les aborder dans d’autres romans ?
J’essaie d’aborder des thématiques principales différentes dans chacune de mes histoires, mais certains sujets secondaires s’y retrouvent en effet toujours un peu mêlés, sans doute parce qu’ils font partie de mon paysage mental. Les liens familiaux, et tout particulièrement la relation parent-enfant, jouent un rôle dans toutes les histoires que j’ai écrites jusqu’à présent. Ils peuvent être apaisés ou conflictuels, abordés du point de vue de l’enfant ou du parent. C’est certainement ma voix de maman qui s’exprime, mais c’est également un ressort important dans les relations humaines, que j’aime explorer, et dont je n’ai sûrement pas encore fait le tour.
Une autre idée qui revient souvent est qu’un homme (ou une femme) ne peut résoudre à lui (ou elle) seul(e) tous les problèmes. Mes héros doivent souvent apprendre à s’entraider, à se faire confiance, à accepter l’autre dans sa différence, pour surmonter les obstacles. Lié à ce dernier point, la tolérance est également un thème qui me tient à cœur et qu’on retrouve dans plusieurs de mes histoires.
Un dernier élément, qui relève cette fois plus d’un choix narratif volontaire, est l’utilisation de la littérature de l’époque pour refléter le cadre historique. Cet aspect est peu présent dans Le Crépuscule des Veilleurs, mais bien plus dans mes autres romans. Je trouve que cela renforce l’immersion dans la culture de l’époque, et je pense certainement reprendre ce mécanisme dans de futurs romans.
Vous avez déjà commencé à en parler, mais auriez-vous quelque chose à rajouter sur votre processus d’écriture ?
J’ai écrit cinq romans jusqu’à présent et mon processus d’écriture a beaucoup évolué au fur et à mesure. Je vais donc surtout parler de ma méthode actuelle.
Je commence par une idée, que je complète jusqu’à une première graine d’histoire : le lieu, l’époque, le thème général, le type de narration. Ensuite, je passe plusieurs mois en travail documentaire. Cela consiste à lire des livres et des articles sur le cadre choisi, à rassembler toutes les informations que je peux trouver sur la vie quotidienne, les événements historiques, les croyances et les légendes locales. Je m’intéresse aussi aux livres / aux récits de l’époque, à la langue. Je rassemble des images pour nourrir le cadre visuel du futur récit. Pendant cette période, je note toutes les idées (de scènes, de personnages, de morceaux d’intrigue…) qui me passent par la tête.
En deuxième étape, je construis l’intrigue. Je suis très architecte1 sur ce point. En piochant dans mon pool [angl. réservoir] d’idées de départ, je définis l’arc narratif principal, puis les secondaires, les grandes articulations du récit, les secrets et retournements de situation. J’obtiens ainsi un premier squelette de mon histoire, que j’espère le plus solide possible, mais qui manque encore de chair.
La troisième étape, plus « jardinière »1, consiste à rédiger un synopsis détaillé. En fait, il s’agit d’une sorte de premier jet où je fais vivre mes personnages, leur donne vie, les laisse s’exprimer ; mais sans rédiger l’histoire. Je m’intéresse à leur évolution psychologique, à l’enchaînement des micro événements, au rythme, au maintien de la tension dramatique. Je papillonne entre les différentes scènes, revient en arrière quand je me rends compte qu’il me manque un événement, un lien entre les personnages, un indice narratif. Quand j’ai terminé, j’obtiens une trame chronologique de bouts de dialogue, de morceaux de phrase, de micro péripéties qui représente 10 à 20 % du roman final.
Il ne me reste plus qu’à rédiger en me concentrant sur la plume.
Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous envisagez le travail éditorial avec Onyx et Plume Blanche pour le moment [printemps 2022] ?
Pour le travail éditorial, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre.
Côté Onyx, j’ai échangé avec l’éditrice sur les points de fond qu’elle avait relevés lors de sa lecture, les changements à apporter. Je lui ai présenté la manière dont j’envisageais les modifications, obtenu son feu vert. J’ai donc procédé à une première réécriture du texte selon ces nouvelles lignes. J’attends maintenant son retour sur cette version avant de démarrer un travail chapitre par chapitre.
Je viens de recevoir le fichier de correction de la part de l’éditrice de Plume Blanche. J’ai trois semaines pour intégrer les modifications, mais cela me prendra sûrement plutôt quelques jours, car il y a très peu de remarques. Ensuite, le fichier sera transmis à une correctrice professionnelle, qui me renverra ses propres corrections. Il ne restera plus qu’à tout relire avant l’envoi pour impression. En parallèle, l’éditrice a commencé à prospecter des illustrateurs pour la couverture.
Un grand merci, c’est très intéressant de suivre la naissance d’un de vos romans ! On comprend mieux leur profondeur et leur précision documentaire. Une dernière question, pour conclure cette interview : si vous deviez donner un conseil d’écriture à d’autres auteurs, qu’est-ce que ce serait ?
Je ne sais pas si j’en suis déjà à donner des conseils à d’autres. Je tâtonne encore autour de ma découverte du métier d’auteur et chaque expérience est différente. Mais pour rester très générique, je dirais :
Lisez ! De tout, même ce qui n’est pas votre style ou votre genre favori, pour découvrir l’éventail des possibles.
Écrivez pour votre plaisir ! Pas pour celui de votre famille, de vos lecteurs, ou d’un futur éditeur : une scène qui ne vous plaît pas aura toutes les chances de ne pas être réussie.
Et croyez en vos rêves !
Propos recueillis par Thràvalgur
pour l’équipe des Murmures Littéraires